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Jean-François Pré

Bonjour Jean-François, comment allez-vous ?

 

Je vais très bien. Je m'apprête à fêter mes 67 ans (11 avril) et j'ai la très grande chance de pouvoir me livrer à toutes les activités que mon esprit - encore sain - suggère à mon corps. Que demander de mieux à un âge (et une époque) où la santé est devenue la plus grande richesse de la vie ?

 

Vous en 4 mots ça donnerait quoi ?

 

Elégance, humour, loyauté, raffinement. Dans l'ordre alphabétique.

 

Parlez-nous de votre livre Double Je. Où avez-vous trouvé l’inspiration pour ce livre ?

 

Si je me souviens bien, car Double JE prend de la bouteille (octobre 2016), l'intrigue m'a été inspirée par le titre. J'ai voulu faire naître une histoire à partir de ce titre. Ce n'est pas un titre très original, il a déjà servi plusieurs fois, mais j'ai eu envie, à travers lui, de traiter le thème de la gémellité. C'est assez surprenant dans la mesure où je suis enfant unique, sans enfant, et m'en suis toujours bien accordé. Mais voilà, les relations entre deux êtres entrant de concert dans la vie, me tarabustaient. J'ai donc imaginé deux frères jumeaux, Nestor et Marc, concrétisation du concept de manichéisme, tout en étant en correspondance télépathique. Un peu comme si le bien et le mal communiquaient... ce qui est d'ailleurs le cas : les actions les plus viles peuvent être dictées par le bien et vice versa (sans jeu de mots). Mais n'allez pas croire que j'ai la prétention d'écrire des romans philosophiques ; je reste dans le polar pur, mon seul objectif étant de faire passer un bon moment à mon lecteur. Ce qui fut le cas, d'après les critiques et retours que j'ai reçus. A partir de ce "pitch", j'ai emmené mes héros sur les chemins chaotiques de l'actualité, avec l'inévitable Langsamer (mon commissaire récurrent) en "arbitre". Ce vieux bougon râleur, très anti-héros mais "diablement" humain. On m'a reproché la fin, un peu trop... abrupte. Avec le recul, je pense que - effectivement - j'aurais pu la travailler un peu plus.

 

Le syndrome de la page blanche on connaît ou pas ?

 

J'ai la chance de ne pas savoir ce que c'est. La raison en est simple : j'écris quand j'en ai envie. Et une fois que c'est parti, ça vient tout seul. Je peux même dire que, souvent, mes personnages me prennent la main. Une sorte de schizophrénie, sans aucun doute.

Je n'ai écrit qu'une seule fois sur commande : la série de nouvelles "Août meurtrier", parue chez 12/21. C'est dans cette série qu'est "né" Langsamer.

 

Imaginez que vous écriviez un livre à 10 mains. A qui elles appartiendraient ces 10 mains ?

 

Si l'on retire mes deux mains, il en reste huit, donc quatre auteurs. Je suppose que, pour rester dans la réalité, ce devrait être des auteurs vivants. Je demanderais donc à Milan Kundera, Michel Houellebecq, Roger Jon Ellory et Muriel Barbery de se joindre à moi pour écrire ce livre.

Dans l'au-delà, j'aurais fait appel à Céline, Proust (ou Maupassant), Shakespeare, Dostoïevsky et, bien sûr, madame Agatha Christie pour bâtir les énigmes.

Mais je doute que, les uns comme les autres, m'aient laissé écrire plus de quelques lignes....

 

Le livre que vous pourriez lire encore une fois

 

"L'Idiot" de Dostoïevsky.

 

Au contraire celui que vous ne pouvez plus relire encore une fois

 

En général, je ne finis pas les livres qui me déplaisent ; je vais toujours jusqu'à cent pages et, si je m'ennuie ou si je ne comprends rien, je laisse tomber. Il y a énormément de livres que j'apprécie sur le moment et que j'oublie aussi vite ou, sans les oublier, sur lesquels je n'éprouverais pas le besoin de revenir, même plusieurs années après. En citer un plutôt qu'un autre ne serait pas très élégant envers l'auteur du livre en question.

 

Noir ou blanc ?

 

Comme je suis d'origine normande et très attaché à la Normandie, je vais vous faire une réponse de Normand : gris. Non, je plaisante.... En tant que couleurs (si ce sont des couleurs), j'aime les deux. Elles expriment une forme de pureté chromatique. Chez les chevaux, le noir et le blanc n'existent quasiment pas car il est très rare de trouver une robe pure, sans un poil d'une autre couleur. Le peintre Soulages a dit que "Le noir intégral n'existe pas". Ces deux couleurs évoquent la force des contraires, tout en étant attachées l'une à l'autre. Ce qui me ramène à mes jumeaux de Double JE.

Personnellement (comme la plupart des êtres humains, je crois), je me positionne davantage du côté du blanc qui symbolise la lumière. Cependant, si j'ai choisi la littérature noire et non la blanche, ce n'est pas un hasard. Pour autant, mes intrigues ne sont jamais très noires, glauques, hyper-réalistes ou ésotériques. Elles ne glacent pas le sang, elles ne donnent pas envie de vomir. Certes, le sang coule comme dans tout bon polar... mais il le fait proprement, sur de beaux meubles, de beaux tapis, de beaux parquets... dans des milieux raffinés. Comme mes personnages, qui regardent le monde avec une certaine ironie. Ce ne sont jamais des paumés de la vie, des drogués ou des laissés pour compte. S'ils sont malfaisants, ils le sont en connaissance de cause, avec classe. Quelque part, c'est encore plus horrible ! Je m'efforce de dissimuler la crasse intérieure par un très joli vernis.

 

Parlez-nous de votre passion pour les chevaux, elle est venue quand, tout petit ou c’est venu pas à pas au fil des années ?

 

Ma passion pour le cheval est née du fait que ma mère, affligée de ne me voir pratiquer aucun sport, m'a posé un jour les fesses sur le dos d'un cheval, en désespoir de cause. J'avais 14 ans et j'ai eu le coup de foudre.

Je ne serai probablement pas objectif dans mon argumentaire... mais j'estime que le cheval est l'être parfait. S'il y a un Dieu, il peut être fier de sa création. Il a la beauté, la grâce, l'intelligence et la générosité. Les imbéciles, qui pratiquent l'anthropomorphie, estiment que le cheval n'est pas intelligent parce qu'il est dévoué à l'homme ; ce sont les mêmes qui prennent la bienveillance pour de la connerie.

C'est le cheval qui m'a amené au journalisme et non l'inverse. D'une certaine manière, je dirai que c'est grâce à lui que j'ai appris à écrire.

 

Si un mauvais génie vous enlevez le fait d'être auteur et journaliste, quelle autre forme d'art choisiriez-vous?

 

La musique, sans l'ombre d'une hésitation. Quand j'étais môme, ma mère voulait me faire apprendre le piano et je l'ai envoyée balader car, à l'époque, je ne pensais qu'au Twist, au Rock... bref, à la musique "Yé-yé". Aujourd'hui, je n'écoute pratiquement plus que du classique ou du jazz et j'éprouve une grande frustration de ne pouvoir reproduire ces sons aimés sur un instrument.

 

Rêve ou réalité ?

 

Ma femme prétend que je suis un grand rêveur, que je vis dans ma petite bulle. Elle a raison : la réalité me fait peur.

 

Si votre vie était un titre de roman, ça serait quoi ?

 

Question ardue car, une fois l'interview parue, on s'exclame : Merde, j'aurais dû dire ça ou ça !...

Tout de suite, sans réfléchir, je pense à "Sense and sensibility" de Jane Austin. Après réflexion, "L'idiot", pour mon côté candide, ou "La promesse de l'aube" parce qu'au lever du soleil, on a l'impression que tout est possible.

 

Les pieds sur terre ou la tête dans les étoiles ?

 

Les deux, mon capitaine ! Je pense avoir les pieds chevillés au sol, très proche du bon sens paysan et même parfois, manquant un peu de fantaisie ou de folie. A côté de cela, si je ne ressens aucune attraction pour le cosmos et si je déteste tout ce qui vole mécaniquement, je me laisse volontiers porter par mes rêves... des rêves qui, cependant, restent terre-à-terre !

 

De tous les livres que vous avez écrits lequel est le plus abouti le plus réussi ?

 

A mon sens, un auteur est le dernier à pouvoir juger objectivement son travail. Je vais quand même répondre à votre question.

Ce n'est pas parce qu'il est le dernier paru (16 février 2018) mais "Vingt briques pour un pantin" me paraît être mon roman le mieux construit et le plus travaillé. Dans le domaine purement hippique, "Une fièvre de cheval", sorti en 2000, raconte une belle aventure et une histoire humaine assez forte autour du cheval. Il a d'ailleurs très bien marché. Sur mes 13 romans parus à ce jour, je n'ai fait qu'un ratage total... à vous de le trouver !

 

Jean-François Pré en mode écriture de romans d’amour genre les feux de l’amour, c’est envisageable ou même pas en rêve ?

 

Même pas en rêve... peut-être en cauchemar ? Je plaisante. L'amour et le sexe me servent de carburant pour mes intrigues mais je n'en ferai jamais une intrigue. 1) Parce que je n'en ai pas envie. 2) Parce que je ne me sens pas capable d'être crédible dans ce domaine.

 

En tant qu’auteur, comment vous voyez le monde dans lequel vous vivez ?

 

En tant qu'être humain, je n'aime pas ce monde. Je suis terrifié par l'extension galopante des nouvelles technologies, par le transhumanisme (il en est question dans "Double JE"), par la robotique, l'homme "augmenté" et par la déshumanisation de la société, en général.

Je suis un vieux con (si, si... j'insiste !), nostalgique de ce qu'on appelle "Les Trente Glorieuses". J'appartiens à la génération des "babies boomers" qui a été très gâtée, reconnaissons-le.

En tant qu'auteur, je m'adapte. J'irai même jusqu'à dire que le monde actuel m'intéresse. Mais nous autres, dans la littérature noire, aimons annoncer des catastrophes. Donc... ça me ramène à mon propos initial.

 

De quoi parlera votre prochain livre ?

 

Une affaire explosive et sanglante de politique-fiction en période pré-électorale. Avec Langsamer, bien sûr. On y retrouve aussi quelques personnages de "Double JE" et de "Vingt briques pour un pantin".

Sortie prévue en septembre.

 

Le bonheur il est où, quand, comment et avec qui ?

 

Le bonheur est dans le pré, évidemment !

Plus sérieusement : le bonheur, on se le fabrique. J'aime bien l'adage : "Comme on fait son lit, on se couche." Je ne crois pas à la malchance persistante. Bien sûr, il y a des inégalités à la naissance... mais quand on a la chance (basique) de naître dans un pays économiquement fort, un milieu et une famille équilibrés, d'avoir une éducation correcte, l'accès à la connaissance, le bonheur est à la portée de tous. Comme je le disais en introduction, il faut évidemment que la santé, corporelle et mentale, soit là ; c'est la base de tout !

Pour moi, le bonheur est encore en France, un pays de cocagne. Je dis "encore" car je n'aime pas ce que ce pays est en train de devenir, mais c'est un autre discours et puis... je ne prêterai pas le flanc à ceux qui voudraient me taxer de vieux ringard ; j'en suis peut-être un, après tout. Il est toujours difficile d'avoir un regard objectif sur soi-même.

Mon bonheur est assez égoïste, j'en conviens car je suis un grand solitaire. J'ai néanmoins une femme qui est une partie de moi-même (30, 40, 50, 60% ou plus...) depuis 35 ans et sans laquelle je n'envisage pas une vie heureuse. Mais l'un comme l'autre sommes très indépendants et faisons parfois "bonheur séparé" avant de nous le raconter.

Le bonheur est un concept assez éthéré, voire abstrait, mais il existe des "petits bonheurs" très concrets qui s'accrochent au quotidien. Pour moi, un galop sur la piste des Aigles à Chantilly, un bon coup de golf, un cigare partagé avec un ami, accompagné d'un vieux rhum ou d'un bon whisky, un lièvre à la Royale accompagné d'un grand bourgogne, un livre dont on redoute de tourner la dernière page, l'aria d'un opéra qui vous donne des frissons, un adagio de Mahler, la majesté d'un champion qui gagne une grande course, etc. Tout cela fait partie des petits bonheurs qui, agrégés, finissent par en composer des grands.

 

Jean-François Pré je vous laisse le mot de la fin pour clore cette interview.

 

Le mot de la fin ? Surtout pas le mot FIN. J'ai encore envie d'écrire longtemps et j'espère que mes (pourquoi "mes" ?)... que LES lecteurs me suivront et me soutiendront. Car, même si l'on se sent autonome comme moi, on a besoin de se regarder à travers l'autre. Sans altérité, il n'y a pas d'écrivain. L'onanisme littéraire n'existe pas.

 

 

Merci beaucoup et belle continuation.

 

Crédit photo : libre de droits

 

 

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