Christian Chevrolet et Hors de Portée
L'idée de départ
Quel a été le déclencheur ou l'idée initiale qui vous a poussé à écrire Hors de portée ?
Un article paru dans Le Temps sur l’étude de scientifiques italiens qui ont expérimenté le principe de la troisième note, mentionnée par Tartini au 18e siècle déjà. J’ai vite compris qu’elle allait me permettre de développer la trame du roman comme je le souhaitais, c’est-à-dire avec deux histoires apparemment sans lien, l’une plutôt psychologique, l’autre clairement policière, qui vont évidemment se rejoindre pour ne faire plus qu’une in fine
Y a-t-il un événement ou un thème social spécifique qui a inspiré votre intrigue policière ?
La partie psychologique, rendue sous forme d’un journal intime, soulève un problème qui me tient à cœur en tant qu’ancien éducateur (avant d’être journaliste) : la difficulté des nombreux enfants à vivre dans les conflits parentaux, avec tous les dégâts que cela peut amener par la suite. Dans la partie policière, j’ai essayé de créer une atmosphère où les personnages prennent de l’ampleur, en dégageant sensibilité et émotion. Et la difficulté a consisté à réunir tout ce petit monde dans les dernières pages.
Du journalisme au polar
Votre longue carrière de journaliste (notamment à Bon à Savoir) a-t-elle influencé votre style d'écriture ou votre capacité à construire une enquête et à structurer un récit de fiction ?
J’ai travaillé trente ans dans le journalisme et j’ai donc écrit des milliers de pages dans des quotidiens et des magazines. Je pensais donc, à la retraite, que je pourrai rapidement écrire mon premier roman. Eh bien pas du tout! Pour les recherches, pas de problème: ça, je sais faire. Idem pour la vulgarisation, pratiquée en permanence durant ma carrière professionnelle. Cependant, l’écriture de 320 pages qui ne se limitent pas à relater des informations, mais à créer un monde dans lequel vont évoluer des personnages complètement fictifs, je vous assure, c’est totalement autre chose !
Le titre et le thème
Que signifie pour vous l'expression "Hors de portée" dans le contexte de l'histoire ?
C’est un jeu de mots, un clin d’œil aussi : comme la musique a une énorme importance dans ce roman, mais qu’elle devient aussi une arme en soi, elle va, en effet, sortir de sa portée (les cinq lignes horizontales où tracer les notes d’une partition, en clé de sol ou de fa, peu importe), mais aussi, comme l’expression l’entend, devenir hors de portée (inatteignable).
Au-delà de l'intrigue, quelles questions humaines ou sociétales cherchiez-vous à explorer ?
J’ai cité plus haut la situation extrêmement traumatisante que des enfants peuvent vivre dans les conflits parentaux, souvent sur le plan psychologique, mais parfois aussi avec des violences physiques. J’en parle tout au long de l’histoire. Je ne suis d’ailleurs pas le seul : à peu près tous les prix littéraires de cet automne traitent, eux aussi, d’abus, de violence conjugale, de problèmes relationnels avec le père ou la mère, de féminicides... J’ai simplement essayé de sortir de ces seuls schémas pour les lier à une trame policière.
Le processus d'écriture
Comment avez-vous construit l'intrigue et les personnages principaux de ce roman ?
L’idée, comme déjà dit plus haut, était de travailler sur deux pistes parallèles et de la faire se rejoindre : un mouvement de fermeture éclair, en quelque sorte. Au cœur de l’histoire, l’auteur du journal intime, qui va lentement dériver, d’abord, selon lui, en toute justice, puis anarchiquement.
Les policiers, eux, sortent du lot : rassurez-vous, ils ne sont pas dépressifs ou alcooliques comme dans la plupart des polars nordiques, mais humains et sensibles. Et ils forment une équipe qu’on a un peu – enfin je l’espère – envie de côtoyer.
Quel type de discipline de travail vous êtes-vous imposé pour passer de la non-fiction à la fiction ?
Le jour où j’ai fixer la dernière étape d’un plan qui me semblait tenir, j’ai décidé d’y consacrer trois heures d’écriture quotidienne. Dans un premier temps, j’ai avancé sur le journal seulement, mais j’ai rapidement décidé d’écrire les deux histoires en parallèle, comme on peut les lire dans le roman.
Je me suis beaucoup documenté. J’ai, par exemple, épluché la plupart des partitions musicales citées dans le texte. Et j’ai passablement lu sur l’exploitation du son. Mais au fil de l’histoire, je me suis fort heureusement laissé gagner par la fiction et mon imagination. Voilà pourquoi, en guise d’exergue, je préviens d’entrée : « Tout ce qui suit est vraisemblable, pas nécessairement vrai… »
Les lieux
Les lieux où se déroule l'histoire sont-ils inspirés de la région ?
Oui et non. Oui parce que dans le journal intime, j’ai spontanément associé certaines scènes à des lieux qui m’étaient familiers, donc sur les bords du Léman. Mais sans jamais les citer nommément ni les décrire de façon à ce qu’on puisse les reconnaître. Et non, parce que, pour la partie policière surtout, je préférais me situer dans une ville du sud de la France (sans que je sache laquelle), ne serait-ce parce qu’il est plus facile d’obtenir des informations sur les procédures judiciaires chez nos voisins que dans la multitude des systèmes cantonaux en Suisse.
Projets futurs
Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet littéraire ?
Oui, sur deux projets même. Mais il va me falloir prochainement en prioriser un, car j’ai un peu de peine à passer de l’un à l’autre. Et vous savez, je travaille très lentement : il n’y a donc rien à attendre avant un à deux ans. Certains auteurs écrivent assez vite, puis reprennent plusieurs fois le texte, le plus souvent entièrement. Personnellement, j’avance tranquillement, mais une fois un chapitre bouclé, je ne reprends presque rien derrière.
Restera-t-il dans le genre du polar, ou avez-vous envie d'explorer d'autres styles de narration ?
J’aime beaucoup les polars mais, en effet, j’aspire à explorer de nouvelles pistes. Je travaille donc sur un roman dystopique pour adolescents (un cadeau que je souhaite faire à mes petits-enfants qui entrent gentiment dans cette phase de vie) et un autre texte, qui va certainement devenir prioritaire, où il n’y aura pas d’enquête policière mais une trame faite de journalisme et de réseaux sociaux, avec quand même suffisamment de suspens pour qu’on le qualifie de thriller.