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La beauté de l'art littéraire avec Cédric Pignat

Bonjour Cédric comment allez-vous ?

A merveille, merci. La rentrée des classes m’éloigne de la rentrée littéraire, et c’est tant mieux.

 

Vous en 4 mots…

Curieux, exigeant, perplexe, inquiet.

 

Parlez-nous de votre nouveau livre :

De retour d’Ecosse, un homme apprend qu’un double meurtre a été commis au cœur d’Edimbourg, là où il se trouvait quelques heures auparavant. Sans savoir pourquoi, peut-être seulement parce que l’une des victimes lui apparaît d’une étonnante beauté, il se passionne pour le fait divers. Après avoir tenté d’atermoyer, après avoir gribouillé quelques pages sur la jeune Fay, il va se résoudre à retourner en Ecosse, comme pour marcher sur ses traces. Bien loin du polar, c’est un roman d’amour, je crois, du moins de fantasme et d’obsession, sous la forme d’un chassé-croisé entre deux mondes qui ne demandent qu’à se rencontrer : l’homme et l’adolescente, tous deux férus de littérature ; Robert Louis Stevenson et John Steinbeck, ensuite ; enfin, ce qui est et ce qui pourrait être. Chacun tranchera, ou s’en abstiendra.

 

Pourquoi être parti sur ce thème-là précisément ?

Au-delà du fait divers et des affres de l’adolescence, c’est surtout notre rapport à la littérature qui m’intéresse - ce qu’on lit, ce qu’on écrit, l’influence qu’on subit et la trace qu’on veut laisser, l’importance qu’on accorde à la vie, aux livres et à soi ; mais aussi les rapports entre créature et créateur, comme entre victime et meurtrier. Dans la lecture, du moins dans la lecture de choix, il y a toujours une violence, celle qu’on se fait, celle qu’on essuie, et qu’on essuie parfois sur le papier pour tenter d’en faire un livre. Mon roman, D’Ecosse, c’est aussi cette histoire.

 

Vous êtes à la fois prof et écrivain. La gestion des deux professions se passe bien ?

Elle se passait plutôt mal lorsqu’il s’est agi de concilier emploi, formation pédagogique, manuscrit et jeune paternité, ou l’impression sans doute avérée de tout faire à moitié. Désormais, les choses sont beaucoup plus sereines. Et je dors.

 

Le livre qui vous a le plus marqué dans votre enfance…

Si l’on parle de la petite enfance, je pense aux illustrations du génial Antonio Lupatelli pour les Contes du joli bois, et puis à Roald Dahl, bien sûr, dont la justesse de ton et la puissance d’évocation me laissent encore pantois ; il faut ensuite citer Richard Bachman et San-Antonio ; enfin, et surtout, à l’adolescence, Théophile Gautier et Baudelaire, Huysmans et bien d’autres, et c’est là que ça s’est un peu compliqué, mais de manière réjouissante, parce qu’il a fallu composer avec le tout.

 

L’élément déclencheur qui vous a donné envie d’écrire…

Les mots en soi, les jolis mots, et puis les mots des autres, des grands, et leurs histoires. J’ai lu très jeune, j’ai passé des heures dans mon petit dictionnaire et dans mon imagier. Ça ne pouvait aboutir que sur l’écriture, d’abord de petits riens, des bandes dessinées et de brefs romans, mais c’est certainement l’étude du latin et du grec qui m’a donné le goût de jouer avec les mots, les sens, les rythmes et les sons. Alors, pendant dix ans, j’ai écrit des nouvelles (Les Murènes, éd. de l’Aire, 2012), comme pour concilier la forme et le fond.

 

L’écrivain ou l’élément qui vous inspire pour écrire des livres :

rien, personne, ou alors un peu partout, quelque chose de diffus, un geste, un regard, une impression ; et surtout les livres, encore, et puis les mots, toujours. C’est pourquoi tous mes textes ont une épigraphe : rendons nos comptes.

 

Plutôt BD, roman romantique, livre humoristique ou polar ?

Il convient de tordre le cou à quelques idées reçues : on trouvera davantage de littérature dans une chronique de Desproges ou d’Allais, dans un roman de Josephine Tey ou dans une aventure de Picsou signée Carl Barks ou Don Rosa que dans la plupart des pavés devant lesquels bave la presse…. Le hic, quel que soit le genre, c’est qu’on publie trop, et qu’on se retrouve avec un flot continu de médiocrité, et fatalement, à l’usure, des auteurs dispensables s’imposent. Le grand prix de l’Académie française à Joël Dicker ou à Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt à l’académie Goncourt, qui plus est dans le siège de Huysmans et de Guitry, ça peut laisser songeur.

 

La valeur sûre au niveau littéraire actuellement :

des valeurs sûres, pour les raisons précitées, je me garderai bien d’en citer ; mais il est permis de penser que certaines maisons, comme Acte Sud ou les éditions de Minuit, nous offrent des pages remarquables, par exemples celles d’Eric Chevillard, de Laurent Mauvignier, de Matthias Enard ou du regretté Christian Gailly.

 

Le livre que vous avez détesté lire pendant votre adolescence …

Oh, sans détestation, je n’ai pas fini les Lettres persanes. Rien de personnel, toutefois : l’été naissait.

 

L’écrivain que vous rêvez de rencontrer :

ce sont leurs livres qui m’intéressent, guère leur personne. Loin de l’idolâtrie, je ne cherche, ici comme ailleurs, que des bons gars, ouverts, capables de parler d’eux comme du reste, prompts à boire un verre et à rire un peu, notamment d’eux-mêmes.

 

C’est quoi un mauvais livre pour vous ?

C’est un livre dont je peux terminer les phrases, qui ne me surprenne en rien, un livre bêtement linéaire, paresseux, qui cherche à flatter un lecteur béat en ressassant les facilités et les provocations de l’époque.

 

Michel Bussi, Harlan Coben, Marcel Pagnol ou Cédric Pignat ?

Pagnol, bien sûr, cent fois Pagnol ; pour l’immense tendresse de sa trilogie marseillaise, pour la beauté de ses souvenirs, pour la bonté et l’humilité d’un écrivain qui était aussi un sublime traducteur et un grand poète. Je ne connais guère de plus belles pages sur l’amour paternel que celles de Marius.

 

Si vous n’étiez ni écrivain ni prof vous seriez …

Malheureux, sûrement. Et puis non : père au foyer, et lecteur à l’heure de la sieste.

 

Que peut-on vous souhaiter aujourd’hui ?

Un très raisonnable statu quo me comblerait. Vendu ?

 

Merci beaucoup Cédric d’avoir répondu à mes questions et belle continuation littéraire.

C’est moi qui vous remercie. Bonne suite !

Crédit photo : Nicole Weber 

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