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Rencontre avec Eloïse Lièvre

Bonjour Eloïse comment allez-vous ?

Bonjour. C'est une question que je n'aime pas. Comment y répondre sans décevoir ni tromper ? Je suis en bonne santé physique, mes enfants aussi, les autres êtres qui me sont chers aussi. Le monde et la vie me laissent dans un grand désarroi et je trouve cela passionnant. Je vais.

 

 

Eloïse Lièvre en 4 mots …

Lire, écrire, aimer, curiosité (j'ai joué le jeu, mais quatre bien sûr ce n'est pas assez).

 

Parlez-nous de votre livre Les gens heureux n’ont pas d’histoire

J'ai écrit Les gens heureux n'ont pas d'histoire, dans sa forme première, comme un calendrier de l'avent pour attendre mon quarantième anniversaire. J'avais vu les remous autour de moi que pouvait engendrer une certaine crise de la quarantaine. Je ne me sentais pas concernée, mais je ne voulais pas prendre de risques. Il me fallait faire quelque chose, célébrer, anticiper, prévenir, au cas où. J'ai eu l'idée, c'était l'été sur la terrasse de la maison d'enfance, d'écrire un texte par jour et par an pendant les quarante jours précédant mon anniversaire, à partir d'une photographie me représentant chaque année, sur la première un petit bébé de quelques jours, sur la dernière une femme de trente-neuf ans sur une plage, dont le regard veut se perdre au loin.

Puis, à travers le regard de mes éditrices chez J.-C. Lattès, Karina Hocine et Anne-Sophie Stefanini, le texte écrit en quarante jours s'est épaissi, j'ai creusé des correspondances, joué au puzzle, découvert des cohérences dans une vie qui, comme toute vie, semble n'être vécue qu'au hasard.

Au départ, les photographies n'étaient qu'une béquille, une aide au récit dans la densité des années, mais peu à peu, je me suis aperçu que la photographie devenait un vrai sujet, et le texte, une petite contribution à l'histoire de la photographie familiale et intime.

 

Le livre qui vous a le plus marqué dans votre enfance …

L'enfance est longue et pleine de beaucoup de livres marquants. Je vais en choisir trois pour trois époques de l'enfance. Lorsque j'étais toute petite fille, mes parents nous lisaient, à ma sœur et à moi-même, Les aventures de la Famille Croquechou de Jane Pilgrim. C'est sans doute ma première expérience d'identification littéraire : une famille de lapins quand on porte le patronyme de Lièvre. Les livres de la famille Croquechou ont aussi la particularité d'avoir connu une sorte d'élection à la transmission. Mes parents les ont lus à mes enfants, les lisent encore à ma plus jeune nièce. Que les livres perdurent en tant qu'objets m'est utile ici. Les deux suivants sont les seuls à être encore dans ma bibliothèque. Il s'agit de Tournebelle de Gaston Bonheur, qui me laisse le souvenir d'un beau mystère, à la fois amoureux, politique et sauvage, et, pour l'époque trouble où l'on commence à sortir de la franche enfance, le livre qui m'a sans doute fait comprendre qu'écrire, mais aussi aimer et être aimé hors de sa famille, était possible, L'Algérie ou la mort des autres de Virginie Buisson, qui a sa place légitime dans mon chantier actuel, j'espère mon futur livre, bientôt.

 

L’élément déclencheur qui vous a donné envie d’écrire

Je ne suis pas sûre que je puisse parler d'envie, en tout cas d'envie toute seule. Je pense qu'il a d'abord été légitime d'écrire. C'est important la légitimité pour avoir envie. J'allais à l'école, une école publique, mais que mes parents avaient choisie. En dernière année particulièrement, on y faisait du dessin, de la céramique, du modelage, de la peinture sur soie, et toutes les semaines, en marge des intentions étroitement scolaires, en prose et en vers, librement, on écrivait. C'est là que j'ai commencé à écrire.

 

La valeur sûre au niveau littéraire actuellement

Je suis désolée, par déformation professionnelle, je ne peux pas m'empêcher de réagir d'abord littéralement à vos questions. J'enseigne la culture et les sciences humaines en classe préparatoire, je prépare notamment mes étudiants à l'exercice de la dissertation, et j'essaie de leur apprendre à porter un regard critique sur les énoncés qu'on leur soumet, à remettre en question les questions. Valeur sûre ? Qu'est-ce que la valeur ? S'agit-il de ma certitude subjective ? De celle, quantifiable, du marché ? Disons alors que parmi les écrivains les plus « visibles » du paysage contemporain, et je m'en tiendrai arbitrairement au paysage français, j'ai, sans originalité mais une certaine orientation, une grande admiration pour Annie Ernaux, Camille Laurens, Emmanuel Carrère, Antoine Volodine.

 

Le livre que vous avez détesté lire pendant votre adolescence

J'ai décidé de détester Maupassant. De ce fait, je n'en ai jamais lu une ligne (mensonge à peine).

 

Frank Thilliez, Baudelaire ou Marc Lévy ?

J'ai essayé les trois, tout le monde ne peut pas en dire autant.

 

Si je vous dis: Les passions en échauffant l'âme donnent à l'esprit un élan qu'il n'a pas naturellement, vous me dites ?

L'esprit est naturellement passionné, seul l'esprit d'ailleurs est passionné, il n'a pas besoin d'un élan venu d'ailleurs, ni de plus de chaleur, que la sienne propre. Je ne crois pas à cette partition de l'être. Apprendre récemment que nous avions un cerveau dans le ventre ne m'a pas surprise et m'a merveilleusement contentée.

 

 

Le prochain sujet que vous allez traiter dans votre prochain livre…

Le livre, comme objet magique, intime et politique, signe de résistance et notre bien commun.


3 voeux à réaliser

Des vœux ou des rêves? Ou encore des dons?

Je voudrais pour mes enfants la capacité à voir dans toute expérience de vie, qu'elle soit plaisante ou pénible, source de souffrance ou de joie, en les préservant toutefois de la souffrance primordiale qu'est la mort contre-nature, la possibilité de devenir plus complexe, plus curieux et plus vivant.

Pour moi, je voudrais bien découvrir, pas de compléments qui ferment les portes, mais par exemple un peu voyager, et puis un jour un amour définitif et tranquille.

Pour le monde j'aimerais vraiment, je ne sais pas ce qu'il faut vouloir, mais j'aimerais vraiment.

C'est contraignant les voeux, quelque chose de grandiose, solennel et très vain. Je préfère me concentrer sur de petites choses, des brisures de désirs, qu'il fasse beau demain, que la maison soit propre, qu'il soit sincèrement possible de voter pour quelqu'un à la prochaine élection...

 

 

Ce qu'on peut vous souhaiter aujourd'hui 

 

Aujourd'hui, c'est dimanche, mais le soir va bientôt tomber, c'est un peu tard pour se souhaier un bon dimanche. On pourrait se souhaiter un bon dimanche soir, j'ai souvent peur de la clôture du dimanche soir, son silence anonyme et sa couleur de cendres. On serait prudent et en même temps on serait fou, on anticiperait. On se souhaiterait un bon dimanche soir et un bon lundi, un bon début de semaine, et ce serait suffisant.

 


Merci Eloïse d’avoir répondu à mes questions je vous souhaite une belle continuation !

Merci à vous. Oui, continuons.

 

Crédit photo : Brigitte Baudesson pour J.-C. Lattès

 
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